Il y a près de trente ans, parallèlement à l’émergence, dans les sciences sociales, d’un tournant discursif, Bernardo Secchi évoquait, au moyen de ce qu’il appelait alors le “récit d’urbanisme”, le souci des urbanistes pour la production de mythes, faisant d’une activité souvent considérée comme principalement technique, un travail centré sur la fabrique d’images et d’imaginaires. Cette conception de la pratique urbanistique donnera lieu à un puissant courant de recherche dans le monde anglo-saxon. On y tendra d’une part à faire converger récit d’urbanisme et storytelling (Throgmorton, 2007, 2003 ; Sandercock, 2003 ; Eckstein, Throgmorton, 2003) ; d’autre part, à poser le storytelling comme un modèle prescriptif ou descriptif de la pratique urbanistique (van Hulst, 2012).
Or, le passage du récit d’urbanisme au storytelling, puis la généralisation dustorytelling à titre de principe cardinal de l’action urbanistique se manifeste dans ce que l’on serait tenté d’appeler un “urbanisme fictionnel” (Matthey, 2011), c’est-à-dire un urbanisme qui tend à substituer une production narrative à une production réelle de ville et de territoire. Un urbanisme qui n’est, en somme, pas si étranger que cela à la société du spectacle telle que conçue par Guy Debord au sens où elle radicaliserait les dispositifs spectacularistes typiques de ce que Debord (1988) appelait un “spectaculaire intégré”, en ce sens que “[t]out ce qui était directement vécu s’est [désormais]éloigné dans une représentation” dans le même temps que “le spectacle se présente comme une énorme positivité indiscutable et inaccessible [qui] ne dit rien de plus que ‘ce qui apparaît est bon, ce qui est bon apparaît’”.
On se souvient en effet que le storytelling fait référence à un processus sélectif de mise en récit de la communication politique. Il repose sur le postulat qu’une bonne histoire vaut mieux que des faits rébarbatifs. Or, la volonté de produire des fictions susceptibles de faire exister un réel toujours-déjà-là (la future plage urbaine, le prochain stade, le nécessaire grand projet, l’incontournable réhabilitation des rives…) qu’il s’agit d’accompagner dans son émergence renvoie possiblement à autre chose qu’à un souci bienvenu de la communication démocratique : une façon de s’assurer de la gouvernementalité du collectif des citoyens.
Ainsi, de même que le storytelling aura dévoyé la communication démocratique dans un souci marqué pour la bonne histoire, le storytellingappliqué au champs de la production urbaine aura conduit à ce que l’on soigne de plus en plus la mise en scène et en spectacle des projets aux dépens de leur réelle mise en débat politique.
C’est précisément cette transformation de l’action urbanistique que souhaite appréhender ce colloque. Pour ce faire, on empruntera trois chemins :
Le premier chemin approfondira la question des enjeux de cet urbanisme frappé du sceau de la fictionnalité. Que ce soit dans la restitution critique de projets urbains qui ont posé au centre de leur démarche une approche par la mise en récit ou une analyse des modes de contrôle de la perception et réception publiques du projet à venir. En arrière-fond, on s’y demandera si l’irruption des communicants dans la grande machinerie de la fabrique urbaine, d’acteurs dont le rôle est de faire mieux comprendre les enjeux, les difficultés et les calendriers des projets au grand public peut être comprise comme une forme toute contemporaine de ce que l’on appelait, dans un passé pas si lointain, de la propagande, c’est-à-dire une “action exercée sur l’opinion pour l’amener à avoir certaines idées politiques et sociales, à soutenir une politique” (le Petit Robert).
Le deuxième chemin thématisera, notamment d’un point de vue génétique, les liens qui existent entre ce storytelling et cet urbanisme fictionnel et les démarches antérieures de marketing urbain qui recouraient à une mise en récit des villes économe – tant en mots qu’en images –, pour communiquer à dessein un point de vue trahissant l’épaisseur et la complexité territoriale, mais accroissant la lisibilité des espaces promus. Ce marketing territorial, souvent orienté sur l’extérieur, visait à accroitre la désirabilité des territoires et à convaincre de la pertinence d’un ancrage. Qu’en est-il de la pratique urbanistique placée sous le signe du storytelling ? En quoi, la mise en fiction de la fabrique urbaine est-elle aussi une vertu ? En quoi le storytelling en urbanisme permet-il de faciliter la compréhension et la mise en débat démocratique des projets urbains ?
Enfin, le troisième chemin, s’intéressera, dans une optique qui est peut-être plus celle de la sociologie des professions, de l’impact des nouveaux modes de gestion et d’administration publiques. On cherchera à y comprendre comment la new urban governance a fait de l’éphémère et de la fictionnalisation des interventions un motif d’animation et de mise en visibilité d’une ville en train de se faire, se défaire et de se réinventer de manière continue, insinuant une logique de l’events là où primaient des logiques de pérennisation et le débat au long cours. On cherchera à identifier si la culture de l’évaluation conduit possiblement à un curieux dévoiement de l’action urbanistique, les outils de l’action (table-ronde, séance de participation, exposition du projet urbain) se transformant en fin en soi. En somme, on tentera d’identifier les systèmes d’acteurs et les logiques d’acteurs qui portent ce paradigme de l’action urbaine.
Par l’intermédiaire de ces trois focales, on cherchera de fait à réinscrire dans une perspective critique les transformations contemporaines du travail urbanistique, singulièrement ce moment où une pratique consistant à produire un grand récit progressiste (le récit d’urbanisme) se mue en machine à faire des histoires (storytelling et urbanisme fictionnel) sous la double contrainte d’un “less is more” marketé et des nouveaux modes de gestion et d’administration publiques. En somme, il s’agit de développer une analyse critique des nouvelles façons de faire la ville.
Les propositions de communication peuvent être tout autant des restitutions de recherche (selon la forme canonique des communications à un colloque académique) que des retours de pratique.
8 h 00 – 8 h 30 : Accueil des communicants
8 h 30 – 9 h 00 : Ouverture du colloque – salle A
9 h 00 – 10 h 30 : Session 1.1 – salle A : Figures de l’urbain
Modération : Elena Cogato Lanza, École polytechnique fédérale de Lausanne.
9 h 00 – 10 h 30 : Session 1. 2 – salle B : Les projets urbains: une fiction?
Modération : Luca Pattaroni, École polytechnique fédérale de Lausanne.
10 h 30 – 10 h 50 : PAUSE
10 h 50 – 12 h 20 : Session 2.1 – salle A : Urban narratives
Modération : Romain Felli, Université de Lausanne.
10 h 50 – 12 h 20 : Session 2.2 – salle B : La fabrique des images
Modération : Christophe Mager, Université de Lausanne.
12 h 20 – 14 h 00 : PAUSE
14 h 15 – 16 h 45 : Session 3.1 – salle A : Dire la ville, faire le territoire
Modération : David Gaillard, Fondation Braillard Architectes.
14 h 15 – 16 h 45 : Session 3.2 – salle B : Paysage en émergence
Modération : Filippo Zanghi, Université de Lausanne.
16 h 45 – 17 h 15 : Clôture du colloque – salle A
Société de lecture, Grand’Rue 11, CH – 1204 Genève.
11 septembre 2013 à Genève.
Fondée en 1987, la Fondation Braillard Architectes (FBA) est active dans les domaines de la recherche en études urbaines et sciences de la ville, de la valorisation et de la conservation du patrimoine architectural du XXe siècle et la promotion de l’architecture et de l’urbanisme.
Fondation Braillard Architectes, 16 rue Saint-Léger, CH – 1205 Genève, info@braillard.ch, www.braillard.ch